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6 juin 2021

Les belles-mères

Nous sommes en famille, smala bruyante et échevelée au complet, en train de visiter une grotte souterraine. À l’aide d’une lampe laser, le guide pointe les stalactites une par une en nous décrivant ce que l’on peut y voir avec un peu d’imagination : une oreille d’éléphant, le père Noël avec sa hotte et Gollum, le petit hobbit édenté, imberbe et famélique qui cherche l’anneau dans Tolkien.

Je m’émerveille intérieurement : c’est vrai, on dirait vraiment Gollum, c’est saisissant ! 

Le guide ajoute :

« De nombreux visiteurs me disent aussi reconnaître leur belle-mère ! ». Un rire gras collectif résonne dans la caverne.  

Je lève les yeux au ciel d’exaspération, un peu rabat-joie.
  • Premièrement, j’ai horreur que l’on se moque du physique. C’est un basique !
  • Deuxièmement, je m’agace de constater, encore une fois, que ce sont toujours les mêmes qui prennent. 

En l’occurrence : les femmes.

  • Elles prennent quand elles sont jeunes, elles prennent quand elles ont vieilli.
  • Elles prennent quand elles font des enfants, elles prennent quand elles n’en font pas.
  • Elles prennent quand elles sont belles, elles prennent si elles ne soignent pas leur apparence. 
  • Elles prennent quand elles parlent trop mais elles prennent aussi quand elles n’ont pas dit un mot et qu’elles ne sont même pas là, juste à cause d’un amas de calcaire millénaire en forme de monstre.

Je me sens mal à l’aise avec ce trait d’humour qui vient d’amuser le groupe, les hommes comme les femmes. 

Ce cliché de la belle-mère m’exaspère, m’attriste, au fond.

Comme tous les clichés, d’ailleurs : ils mettent les gens dans des cases. 

Mais dans quelle case se met-on soi-même lorsqu’on brandit le cliché de la vilaine belle-mère ? Dans la case du beauf un peu macho ? Dans la case de la belle-fille pimbêche et ingrate ?

Mon petit garçon, qui a envie de faire pipi depuis le début de la visite, a de plus en plus de mal à se retenir. Et je réalise que si ma belle-mère était là, justement, les événements se seraient déroulés autrement. Elle aurait pris le petit par la main, AVANT la visite, avec une fermeté bienveillante, en lui disant :

« Si si, tu viens avec moi, on va faire pipi ».

Elle n’aurait pas eu cette fébrilité du parent en retard et dépassé. Elle aurait obtenu un petit pipi vite fait, bien fait. Cela aurait pris moins de trois minutes et nous aurait sauvé les deux heures suivantes.

Ah, si elle était là, tout de suite maintenant…

Pour moi, la mauvaise vanne du guide a balayé la magie des lieux. Peut-être pour m’évader de la visite qui m’ennuie maintenant sévèrement, je me projette dans le plus tard, le très lointain. C’est avec un immense vertige que j’imagine ma maisonnée d’enfants grandis, qui reviendront me voir un week-end, de temps en temps, quand leurs occupations laisseront un petit vide dans leurs agendas. 

C’est bien sûr ce que l’on souhaite pour ses enfants :

Qu’ils soient occupés à vivre leur propre vie pleinement et librement. N’empêche ! Cela m’effraie d’y  penser.

Je sais qu’en temps voulu j’aurai sans doute le cran d’affronter ça : les voir partir. J’espère seulement que je ferai mieux que de le supporter, j’espère que je me sentirai aussi chez moi dans cette nouvelle étape de ma vie.

Par contre, accueillir mes enfants avec leurs chéries, petits-amis, épouses ou amoureux, endosser le rôle de la belle-mère, là, pour le coup, cela semble au-dessus de mes forces.

Moi, je les trouve courageuses, ces belles-mères. 
  • Il faut l’avoir, le courage d’accueillir de nouveau dans son nid, un temps désaffecté, l’oisillon devenu grand et accompagné de sa moitié.
  • Il faut l’avoir, l’indulgence de les laisser tous les deux être eux-mêmes sous nos yeux. 
  • Il faut l’avoir, la tranquillité de se faire un peu petite lorsqu’ils rassemblent devant nous, frénétiquement et de toute leur jeune énergie, les brindilles pour construire leur propre nid.

Et je l’ai certainement fait moi aussi, construire mon nid frénétiquement devant elle, en piaillant comme un petit pinson tout gai. 

Certainement que j’ai débarqué avec mes sabots trop grands, toute amoureuse et toute jeune, dans la maison des mes beaux-parents. 

Certainement que mon homme n’avait d’yeux que pour moi et que ce devait être douloureux, parfois, pour celle qui l’a fait naître. 

Certainement qu’elle a dû en avaler, des couleuvres, pour nous laisser exister tels que nous sommes. 

Evidemment, qu’elle en a attendu, des nouvelles de son enfant, sans que celui-ci n’appelle pendant des semaines, trop occupé à être amoureux, d’abord, puis à fonder sa famille, ensuite. 

Evidemment que le temps a dû lui paraître long lorsqu’elle s’interdisait de téléphoner pour ne pas nous déranger, parce qu’elle se refusait à entrer dans le rôle, qu’elle ne veut pas, de la belle-mère envahissante.

Alors, bien sûr, on peut se dire qu’un monde nous sépare, elle et moi. 

Sa maison est une caverne d’Ali Baba alors que je ne jure que par cette psychorigide de Mari Kondo ! 

Elle ne crache pas son venin sur l’ordre établi, tandis que je ne crache jamais, moi, sur une petite manif’. 

Elle angoisse à l’idée de faire trop de pâtes — car elle déteste les restes — tandis que je panique s’il n’en reste pas assez au fond du plat parce que j’ai la terreur de manquer. 

Pourtant, c’est bien elle qui nous accueille, chaque fois avec le même sourire, la même joie de nous voir, mettant les petits plats dans les grands. 

  • C’est bien elle qui me dit calmement, après mon accouchement, comme un appel à l’auto-indulgence : « Ne t’inquiète pas trop, tu les perdras en temps voulu », lorsque j’enrage des quinze kilos encombrants qui me collent aux hanches et au ventre.
  • C’est bien elle qui se coltine trois semaines chez nous lorsque nous attendons la naissance de notre second bébé et qu’elle assure l’astreinte pour l’aîné si nous devons partir en pleine nuit à la maternité.
  • C’est bien elle qui vient depuis l’autre bout de la France pour ça, en autocar inconfortable.
  • C’est elle, enfin, qui plie du linge tout ce temps, en se faisant la plus discrète possible. 

Il n’y a qu’elle que ça intéresse de voir les échographies de mes bébés, ma mère étant morte depuis longtemps. 

Il n’y a qu’elle à qui je peux laisser mes enfants les yeux fermés, un mois s’il le faut. 

C’est aussi devant elle que je me suis toujours sentie compétente comme mère, jamais dévalorisée ou rabaissée, malgré des choix peut-être différents de ceux qu’elle aurait faits.

C’est encore elle qui me demande ce que je souhaite faire manger à mes enfants lorsque nous sommes sous son propre toit. 

C’est elle qui s’adapte, qui se réjouit de nous et qui nous aime. 

Alors quand je l’entends, l’autre grand dadais, avec son micro et sa lampe torche, comparer les belles-mères à Gollum, j’ai envie de lui répondre que j’aimerais bien l’y voir, à la place de sa belle-mère.

Il ferait sans doute moins le malin.

Moi en tout cas, je ne suis pas pressée de m’y voir. Mais le jour où j’y serai, j’espère avoir la même intelligence du cœur que cette belle-mère qui est la mienne. J’espère avoir sa force et sa bienveillance. 

J’espère que mes oisillons m’y aideront, aussi, et qu’ils choisiront, pour les accompagner dans la vie, des petits pinsons gais et piaillants, mais indulgents et attachants. En attendant, je m’en vais gérer le pipi débordant dudit oisillon…

Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Amélie, qui a fondé les Écouteuses (https://lesecouteuses.com/) pour accompagner les femmes après un accouchement difficile


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Commentaires
E
Oui , oui tout est juste ......
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