Suite à la lecture du petit livre de Françoise Héritier: "le sel de la vie", ma tante Joëlle s'est mise à relater à son tour chaque jour, un moment de joie. C'est en quelque sorte son "livre des merveilles" qu'elle a intitulé, elle, "la légèreté des jours"! Elle a bien voulu que je vous en fasse partager des extraits...je le ferai sans doute régulièrement. Merci à elle! Et vous, vous commencez quand?
Le 1 septembre 2012
A l’automne de la vie, il est peut-être temps d’en noter les petites joies quotidiennes. Ecrire ce qui fût pour moi, d’abord une ascèse spirituelle, pour devenir une manière de vivre… La fraicheur du temps laisse à penser que l’automne et ses menus plaisirs s’annoncent. Joie d’un petit passage à Rennes ma ville natale, pour le mariage de Cécile et Mandeep,( mariage mixte catho et sikh : 4° religion monothéiste) dans mon quartier de jeunesse : souvenirs, souvenirs heureux…souvenir mémoire et non nostalgie.
Le 2
Lu dans le journal l’article sur les travaux de réfection des bains de la reine Jeanne à Guéméné-sur-Scorff. Si l’andouille a fait la renommée de la ville depuis le XIV° siècle, les thermes reconstruits, après récupération des pierres dans la propriété d’un antiquaire à Vitré où elles n’avaient rien à faire, vont y participer dorénavant. Je me suis régalée en lisant l’article car l’archéologie m’intéresse depuis la classe de 6°. Au retour du mariage d’Antoine et Hortense au Château familial de Salsac, nous avons visité les ruines des thermes romaines de…les deux sont sur le même modèle. Ces thermes sont à l’origine des hammams.
Le 10
Descendre au jardin le matin pour vider le bio-seau dans le composteur. Satisfaction de participer simplement, à son niveau à la protection de la planète est très gratifiant et joyeux lorsqu’Aristophane m’accompagne. Il s’installe sur le composteur non utilisé ou se glisse entre deux cageots de la pile voisine, dont il a fait sa datcha. Il est trop drôle.
Le 11
La boite aux lettres : Descendre au garage, touiller la peinture blanche avec un morceau de bois. Donner une première couche par un temps mitigé que l’on espère clément à son travail, d’autant que c’est une première. C’est le bonheur d’un ouvrage manuel bien accompli pour une rêveuse. Bref, encore une victoire sur soi, comme le dit Michel. La deuxième couche, demain, achèvera la félicité.
Le 12
Les escargots : En arrachant les pieds flétris de capucines j’ai retrouvé mes escargots. Deux espèces se partagent le territoire du jardin : des petits gris de Rennes, que je connais depuis mon enfance et une découverte de cette année que je pense être l’escargot de Quimper en voie de disparition et qui crée une polémique dans la commune. Un stade et un centre de foot doivent se bâtir sur une zone humide de plus en plus rare et de surcroit espace privilégié de cet race de gastéropodes .Tant pis pour les salades, quel plaisir de participer à ce sauvetage !
Le 18
La médiathèque : j’ai toujours aimé l’odeur des livres. Si je m’écoutais, j’en achèterais des brouettées. J’ai renoncé à ces dépenses devenues en partie inutiles sur les conseils de Michel. Renoncer à la possession est une mince ascèse lorsqu’une médiathèque s’ouvre dans le « village ». Je l’écume avec assiduité. Le plaisir se décuple lorsqu’au détour d’une travée l’on tombe sur une copine.
Le 19
Les mésanges : le froid s’invite. Un vol de longues queues atterrit sur les branches de l’albizia. l’année passée les premières furent des nonnettes qui ouvrirent la saison, puis en remontant le temps : les bleues, enfin les charbonnières. C’est à croire qu’elles se donnent le tour pour ouvrir le bal. Ensuite elles viendront en groupe variés et multiples dès que nous mettrons des boules de graisse, faisant la navette entre le cèdre et l’albizia puis elles disparaissent d’un coup on ne sait où. Mais le spectacle est toujours aussi réjouissant et fascinant.
Le 20
La visite des rosiers est un plaisir renouvelé : je vais régulièrement visiter mes rosiers : mes enfants en quelque sorte car j’ai fait des boutures pour les uns en mettant en terre des tiges de roses rapportées de mes séances de fleurissement de l’église ; j’ai récupéré les autres dans les poubelles du cimetière. je suis du genre « sauvons ce qui peut l’être ». J’ai ainsi eu la surprise de voir un rosier blanc apparemment nain devenir grand. Je les soigne en mettant un copieux compost au pied à l’automne.
Le 23
La confipote : descendre au jardin récolter quelques poignées de framboises. Les mettre dans un pot de votre confection suivant les conseils de Nicolas le jardinier, bien connu des anciens : découper le haut d’une bouteille d’eau en plastique, faire deux trous, y passer une ficelle suffisamment longue pour être mise autour du cou. Ce récipient assez haut sera stable et vous laissera les mains libres. Cueillette dans l’air frais. Verser ensuite les framboises dans une casserole avec un peu de sucre. L’odeur est déjà un avant-goût du plaisir de la dégustation ; déposer la confipote dans un pot ancien et attendez de pouvoir y goûter, c’est un vrai régal.
Le 24
Surprise : Comme j’ai horreur du gaspillage, j’avais rapporté du fleurissement de l’église une branche de lierre à boules et des de graines de lys St joseph et j’avais fait une petite composition en pot. Ce matin les boules de lierre se sont épanouies en petites fleurs vertes à l’étamine jaune or. Surprenant et ravissant ! j’ignorais que le lierre avait ce genre de floraison, sans doute parce que le vent d’automne doit rapidement disperser les étamines . Toujours est-il quand descendant étendre le linge au jardin, j’ai regardé la branche de bouleau habillée de lierre. j’ai aperçu quelques fleurs mais surtout une nuée d’abeilles qui butinaient allègrement. Je m’en suis réjouie, et par avance des fruits noirs qui feront le régal des oiseaux durant l’hiver.
Le 25
Le premier feu de cheminée de la saison : plaisir d’alimenter le feu avec le glanage de l’année : petits fagots de branchettes de framboisier comme faisait papa, récupération des bouchons de liège, collectés dans des boites de camenbert en bois, coquilles de noix, noisettes et pistaches, plus une grosse bûche pour tenir la nuit. Regarder les flammes danser, comme maman le faisait, lorsque nous rentrions du glanage dans les chemins creux ou le bord de mer. Nostalgie de sa petite maison de Cancale que nous n’avons vendue qu’après son départ pour un monde que tous espèrent encore meilleur. L’odeur du feu de bois que j’aime se sent dès le rond-point lorsque l’on revient du bourg.
Le 26
« Le châtaigner agonisant s’orne de fleurs noires dans l’aube terne » à la manière « haïku »
Temps gris ce matin, j’aperçois par la fenêtre ce qui reste de la châtaigneraie de « Bob Histin »( c’est du breton) la propriété voisine et l’arbre qui se meurt d’un champignon parasite. Il dresse, en éventail, des branches noires vers le ciel. Une nuée de corneilles, une trentaine après décompte, se chamaillent pour trouver une place sur ces mains suppliantes. Un vrai tableau japonais se dessine sous mes yeux.
Le 27
Le tailleur de haie : je regarde à travers le rideau métallique du velux de la salle de bain Jean-Claude, Ce gros nounours, style bucheron canadien qui coupe comme à chaque saison la haie du voisin. Le dimanche, je lui saute au cou, c’est le cas de le dire, au vu de notre différence de taille, pour le saluer après la messe. Sa douceur et son humilité me laisse pantoise. C’est un trésor d’humanité. Je n’ai pas résisté à l’envie d’aller le saluer. Il a taillé par-dessus le marché, gracieusement, notre haie grimpante.
Le 28
Le soleil est présent pour la St Michel. Quelques petits nuages fleurissent le ciel pour fêter Mimi. Je pense avec tendresse à mes petits camarades composteurs- pailleurs qui vont tenir, en se relayant, le stand « développement durable », place du château à Brest pour la grande braderie. Je n’aime pas trop la foule, je leur laisse donc le privilège de cette activité. En passant par la place du Calvaire jeudi soir pour aller à ma permanence au presbytère, j’ai longé la boulangerie-pâtisserie Corre. L’odeur du pain embaumait l’air ! un délice olfactif qui draine ma vie depuis mon enfance : j’allais chercher le pain à la Basse-Cancale qui flairait bon les craquelins. A Rennes, la rue St Michel, à l’arrière du magasin des parents, déroulait ses petits commerces de bouches et autres. Les parfums s’y croissaient à en mettre l’eau à la bouche.
Le 29
Le temps qui passe : il passe si vite que je ne le vois pas passer. Comme Le « jeunisme » n’est pas ma tasse de thé, je vais mon petit bonhomme de chemin, tranquillement. Je prend le temps comme il vient…prendre le temps de vivre, de rêver, de se souvenir : lorsqu’un petit évènement se produit et que les souvenirs remontent en surface comme le suc de la vie, ils deviennent une vraie gelée royale que je prend le temps de savourer, comme une petite abeille pour préparer l’hiver.
Le 30
L’araignée : Nous avons une locataire. Une épeire qui a tressé son logis à la porte du nôtre. Epeire diadème ou fasciée, je ne m’y connais pas suffisamment en aranéidés pour me prononcer. D’un commun accord avec Mimi nous avons décidé de cohabiter. Sa toile se transforme au fil du jour : dentelle perlée le matin, rets à moucherons en journée, hamac le soir. Pour l’instant, grâce à son immobilité, elle a échappée au Raminagrobis de service qui aime s’amuser de tout ce qui bouge. Ouf !
Le 1 octobre 2012
Les saveurs salades du palais : Michel a rapporté de la roquette+mâche. J’aime cette salade connue de mon palais depuis seulement deux ans. Le goût douçâtre de la mâche est agréablement relevé par celui un peu acidulé-amer de la roquette. Faute de mâche, je varie le mélange avec des feuilles de radis. la laitue se marie bien avec l’âcreté du pissenlit et l’acidulé des feuilles de capucines. Mes batavias plantées en pot n’ont pas donné le résultat escompté. La croissance a très bien débuté, mais végété par la suite faute d’espace. Ce n’était qu’une demie bonne idée. Mais elles furent mangées avec plaisir.
Le 2
L’odorat : c’est un sens qui m’était resté, me semble-t-il, un peu en jachère depuis ma jeunesse. j’ai souvenance du parfum des lilas en rentrant de l’école, ou celui du mimosas dans les bois de la pointe de Pors-Pican à Cancale pendant les vacances de pâques, celui bien sûr du goémon. Avec les loisirs que donne la retraite, le temps passé au jardin, je découvre ou redécouvre les odeurs. C’est un immense plaisir de humer le persil, la ciboulette, le thym ou le romarin fraichement recueillis, l’herbe coupée, la rose à peine éclose, l’odeur miellée du lierre en fleur.
Le 3
Je croise régulièrement mon « poireautier ». Le monsieur qui m’a permis de planter des poireaux deux années de suite. L’an passé, il m’a donné une botte de 50 plants qui lui restait en me disant qu’il était un peu tard pour les planter. Il n’empêche que nous en avons encore au congélateur. Cette année comme je n’en trouvais pas au marché du jeudi ( j’arrivais toujours trop tard) il m’en a vendu une botte identique. Hélas, en discutant avec lui, comme je lui disais avoir taillé le bout des feuilles. « Pas celles du centre, sinon ils ne vont pas grossir ! » Aïe, aïe ! l’avenir nous le diras. Les siens sont parait-il déjà «gros comme çà », geste à l’appui. Devant son air réjouis, je m’extasie, ce qui redouble son contentement. « Je sais çà depuis longtemps, » rajoute-t-il, « j’ai été élevé à la campagne. A douze ans j’étais déjà dans les champs ! » La convivialité de bavardage au coin de la rue est gratifiant quand si mêle le sourire complice.
Le 4
Le lèche vitrine : n’est pas ma distraction favorite. Mais revenir du bourg avec des carottes de sable dans un pochon de papier à la main, s’arrêter devant « Fraises des bois » la brocante, qui aspire à « l’antiquité » et constater que les objets proposés deviennent de plus en plus jolis et délicats au fil des années est un vrai plaisir.
Le 5
Le Langage : Trouver des mots variés pour dire son contentement n’est pas si simple. Ici, l’expression est quasi unique : avoir du goût. Le vocabulaire devient de plus en plus restreint, aussi j’ai du goût à en dénicher dans mes souvenirs : être content ou satisfait, Avoir plaisir, se régaler, se réjouir, éprouver de la joie, être gratifié, être récompensé, jubiler, s’extasier de bonheur,…j’en trouverai d’autres.
Encore MERCI, Joëlle! Et surtout, ne t'arrête pas!