Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carpe Diem
Archives
Derniers commentaires
23 avril 2024

Anne Sylvestre et Marie Chaix

Pour ses 62 printemps, j'ai offert à ma p'tite soeur Pascale ce livre écrit par Anne Sylvestre. Pascale aime les coquelicots et Anne Sylvestre...je ne pouvais pas m'abstenir. Le livre a été publié en 2014 puis en 2018, enrichi de quelques pages. Il est dédié à sa petite soeur, Marie qui n'est autre que Marie Chaix, un écrivain que j'avais lu il y a longtemps et beaucoup aimé. Je ne savais pas alors qu'elle était la soeur d'Anne Sylvestre...

En faisant quelques recherches je suis tombée sur l'article ci-dessous:

 

Marie Chaix (1942-)et Anne Sylvestre (1934-2020)
Marie Chaix (1942-)et Anne Sylvestre (1934-2020)

Marie Chaix (1942-)et Anne Sylvestre (1934-2020)

Marie Chaix et Anne Sylvestre, deux sœurs et un secret d'enfance.
Anne, auteur-compositeur, est née avant la guerre ; Marie, écrivain, dans la France occupée. Les deux sœurs partagent un lourd passé. Et l'art des mots pour briser le silence.
Par Propos recueillis par Valérie Lehoux

Publié le 19 juillet 2008 à 00h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 10h26


L'une est née avant guerre, en 1934, et l'autre dans la France occupée, huit ans plus tard. La première, Anne Sylvestre, est devenue auteur, compositrice et interprète ; ses chansons pour adultes, curieusement moins connues que ses Fabulettes enfantines, sont parmi les plus belles du répertoire français. La seconde, Marie Chaix, est devenue écrivain. En 1974, dans un premier livre choc, Les Lauriers du lac de Constance, elle osait raconter sa famille déchirée : un père collaborateur, bras droit de Doriot, parti en Allemagne en 1944 puis emprisonné à Fresnes après la Libération ; la perte d'un frère, qui avait suivi son père à la toute fin de la guerre, et qui disparut sous un bombardement allié. Pendant longtemps, Anne n'a rien dit de ce passé-là, trop lourd à avouer, demandant à sa petite sœur de taire leurs liens de famille. Aujourd'hui, à 74 ans, elle parvient enfin à en parler, y faisant même une allusion très claire sur son dernier disque, sorti l'an passé. Quant à Marie, elle continue d'explorer dans des livres bouleversants et pudiques les terres de leur enfance. Chagrin jamais éteint mais écriture salvatrice. Les voici qui croisent leurs regards et leurs souvenirs, côte à côte en interview, pour la première fois.

L'une des chansons d'Anne s'intitule Ecrire pour ne pas mourir... C'est un peu votre histoire, à l'une et à l'autre ?
Anne Sylvestre : Dès l'âge de 11 ans, j'ai su que j'écrirai. J'avais commencé à rédiger des histoires dans des cahiers, que j'ai perdus à la fin de la guerre, quand on a été obligées de quitter notre appartement. Mais l'écriture était déjà un geste naturel. Plus tard, elle est devenue davantage : une nécessité physique, un moyen de survivre, vraiment ! Je l'ai réalisé un jour où je suis tombée malade. J'avais la tête vidée... Quand j'ai pu rependre un stylo, mon premier texte fut Ecrire pour ne pas mourir. L'urgence et le remède. J'ai tendance à l'oublier trop souvent.

Marie Chaix : Moi, je ne me suis jamais dit : « Je vais écrire pour m'en tirer. » Mais avec le recul, j'ai compris en effet que pouvoir écrire avait été une chance, une ouverture, qui nous a aidées à vivre. Malgré tout, je connais encore des périodes de non-écriture - la dernière a duré huit ans et elle était épouvantable ! Quand on écrit, c'est comme si on traversait la Seine à la nage sans se poser de questions, sinon on se noierait. Bien sûr, il y a de la survie là-dedans.

C'est rare, deux soeurs qui écrivent... L'une a entraîné l'autre ?
MC : Anne m'a beaucoup entraînée, et le fait qu'elle écrive a été pour moi libérateur... J'ai mis du temps à l'accepter. Au début, si on m'avait dit : « Vous faites comme votre soeur », j'aurais répondu : « Foutez-moi la paix ! » D'autant que je n'ai pas eu du tout la même approche qu'elle : d'emblée, j'ai décidé d'écrire un livre sur la famille et sur notre père ; Anne n'aurait pas commencé par là. Mais si je l'ai fait, c'est parce qu'elle avait ouvert le chemin... en n'en parlant pas.

AS : De temps en temps, pourtant, je lâchais une allusion dans une chanson... Ça me semblait transparent alors que c'était totalement opaque ! Il y a des choses qu'on ne chante pas, et qu'on a du mal à dire. En 1966, un journaliste m'a interviewée pour un petit bouquin et j'ai réussi à faire l'impasse totale sur l'histoire de mon père ! Un vrai tour de force, une omission terrible et formidable. Je me cachais. Cela étant, j'ai pu dire sans mentir que j'avais eu une enfance très protégée. J'étais une petite fille avec un tablier à volants à qui on chantait des chansons, qui avait sa balançoire, son jardin, ses deux frères... Il y avait des silences et des moments de peur, mais je ne l'ai réalisé qu'après.

MC : Nous avions autour de nous un vrai mur d'amour : maman, bien sûr, et Juliette, la « bonne », une femme merveilleuse, arrivée chez nous en 1937 et devenue un membre à part entière de la famille. Après la guerre, alors qu'on ne pouvait plus la payer, elle est restée en disant : « Si je m'en vais, qui s'occupera des enfants ? »

AS : Justement, j'ai des souvenirs de soirées d'angoisse où maman restait seule dans le noir alors que Juliette me prenait sur ses genoux et me chantait « Tout va très bien, madame la Marquise... »

La chanson était déjà une consolation ?
AS : Ah oui ! Et quand j'ai eu une vingtaine d'années, j'ai commencé à en écrire. A l'époque, les femmes étaient seulement des interprètes, à l'exception de Nicole Louvier. Quand je l'ai entendue à la radio, jeune femme d'à peu près mon âge qui écrivait et composait elle-même, j'ai su que c'était possible ! Il m'a fallu encore trois ans pour oser me produire devant des gens. Jusque-là, je me réservais à un public très familial.

MC : Elle me jouait ses chansons dans la salle de bains : c'était l'endroit qui résonnait le mieux, et surtout où on nous fichait la paix ! J'avais 14 ans, elle en avait 22, j'étais prise dans son mouvement, éberluée d'amour et d'admiration. Notre père aussi était revenu à la maison, à la suite d'une amnistie générale des prisonniers politiques, en 1955. Il a assisté aux débuts d'Anne. Il avait une place et une autorité à reprendre. Il allait l'écouter, il était son premier fan.

AS : Tu ne t'en doutais pas, mais j'ai découvert plein de choses dans ton livre. Moi, je n'étais pas allée chercher. Cette histoire-là, je l'avais vécue. Notre frère Jean, je l'ai toujours attendu. Et le départ de papa avait été un arrachement... A 10 ans, j'avais eu le temps de le connaître et de l'aimer ! En 1948, au moment de son procès, j'ai été mise en quarantaine à l'école. Quand on partait pour la prison, je disais qu'on allait à Antony pour ne pas prononcer le mot « Fresnes »... Avec toujours ce crève-coeur à la fin du parloir quand toi, la petite, tu avais le droit de l'embrasser et pas moi, parce que j'étais trop grande. Lorsqu'il est revenu dix ans plus tard, je ne lui ai pas posé la moindre question. Je voulais lui foutre la paix. Si maintenant je le tenais là, je lui dirais : « Mais qu'est-ce qu'il t'a pris d'être aussi con ! »

MC : La première fois que je l'ai vu, j'ai dit : « Bonjour, monsieur » Mon père vivait derrière les grilles, je ne l'avais jamais connu ailleurs. J'avais 2 ans quand il est parti en Allemagne. J'étais jeune. Pour moi, Fresnes, c'était presque une excursion.

AS : Tu te souviens que tu jouais avec ton ours ? Tu le mettais dans un petit fauteuil qui avait des barreaux et tu disais : « Je vais voir mon mari. »

MC : C'est peut-être justement parce que j'ai vécu tout cela avec plus de distance, à cause de mon âge, que j'ai eu ce besoin de fouiller et d'en savoir davantage.

Anne, vous en avez voulu à votre soeur de publier ce livre ?
AS : Bien sûr que non. D'abord elle avait le droit, ensuite elle a eu raison. J'en aurais été incapable, j'ai toujours été nulle en histoire, je n'ai jamais rien compris. Toute mon enfance, j'ai entendu : « Ne touche pas à la politique, elle a fait notre malheur. » Ça marque durablement. Aujourd'hui encore, quand j'ai un journal devant les yeux, je disjoncte complètement. Je n'aurais pas pu aborder le sujet comme elle l'a fait.

Reste qu'un an après Les Lauriers..., vous avez écrit une chanson magistrale, Une sorcière comme les autres, où pour la première fois vous faites allusion à votre père et à votre frère disparu en Allemagne... Est-ce un hasard ?
AS : Je ne sais pas. Cette chanson-là, j'ai eu l'impression de l'écrire sous la dictée. D'ailleurs, j'ai eu très peur de la faire écouter à Marie. J'étais très très émue quand elle l'a entendue, pour la première fois, lors d'un concert.

MC : Et moi j'en ai pleuré ! Tout comme avec Roméo et Judith, une chanson sur l'injustice sur fond d'antisémitisme... Moi aussi, j'avais essayé d'écrire sur ce thème mais on m'avait dit : « Vous n'avez pas le droit de parler au nom d'un Juif : non seulement vous ne l'êtes pas, mais en plus, vous êtes la fille d'un collabo ! » Ça m'avait renvoyée dans mes cordes. Avec sa chanson, Anne est arrivée à exprimer ce que je n'avais pas pu dire, ou qu'on ne m'avait pas permis de dire.

Une femme vous avait aidée à dire les choses, c'est Barbara. Et elle était juive...
MC : Elle ne le revendiquait pas, ni dans son écriture ni dans sa façon d'être, mais il y avait cet arrière-fond... A 24 ans je suis devenue son assistante, par hasard - un hasard complet mais bizarre, qui m'a posé des problèmes de culpabilité terrible vis-à-vis de ma soeur chanteuse. Le fait de l'avoir approchée a beaucoup compté pour moi, notamment dans le déclenchement de l'écriture. Un jour, elle a voulu que je lui parle de ma famille. Je me souviens m'être sentie très mal de lui « avouer » tout cela. Mais elle m'a dit : « Echangeons nos morts, ils sont tous pareils. » Elle a été la première à me suggérer d'écrire.

L'écriture vous a-t-elle permis de tout évacuer ?
AS : Bien sûr que non. On creuse toujours autour du même trou, et ça reste très difficile, même soixante ans après. On doit aller à la pêche, il y a des algues et de la vase. C'est une ambivalence permanente. Je n'arrive pas à me défaire, comment dire ?, d'une culpabilité. Ce n'est pas juste d'en vouloir aux enfants que nous étions, mais je n'arrive pas non plus à trouver cela injuste. Je le comprends. Pour un peu, je trouverais même ça légitime. Tant que les victimes de la guerre continueront à souffrir, on continuera à être coupables.

MC : On n'est jamais quitte de ce passé-là. Pour mon dernier livre, L'Eté du sureau (2005), il m'est revenu en pleine face : j'ai reparlé de mon père, de ma mère, de mes frères... Dans toutes les familles, certains s'en sortent très bien et d'autres pas du tout. Je crois qu'on s'en est finalement pas mal sorties ! On aurait pu devenir folles, j'en connais d'autres... Maintenant, je voudrais que ce soit Anne qui raconte cette histoire, avec son regard à elle. Tu m'as appris tellement de choses, avec toi je n'avais pas peur. Les événements ne nous ont pas marquées de la même façon, et c'est normal. Je voudrais savoir comment tu les as perçus.

AS : J'y ai pensé... Mais pas à travers un livre, plutôt une expression théâtrale. Mais je ne suis pas sûre de le faire un jour.

Vous avez essayé ?
AS : Oui. Oui. Plusieurs fois.

Anne Sylvestre, chanteuse féministe pour enfants, est morte à l’âge de 86 ans

Bonus avec cette chanson d'Anne Sylvestre que je viens de re-écouter avec une oreille neuve et dont il est question dans l'article. Une des plus belles, d'ailleurs reprise par au moins 3 autres chanteurs: Pauline Julien, Ben Mazué et ma version préférée par Laetitia Isambert et Nathalie Doummar. Je vous laisse chercher ces interprétations sur You Tube. 

On aimerait qu'il y ait encore des chanteurs comme Anne Sylvestre...

Publicité
Commentaires
P
effectivement passionnant...
Répondre
G
Merci c est magnifique, et je comprend mieux la "félure" que l'on sent chez Anne Sylvestre.
Répondre
Carpe Diem
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 224 349
Publicité